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Elle brandissait les deux ramettes de papier, une dans chaque main, et souriait.

« Exactement ce que vous vouliez, non ? Triad Modern. Deux paquets, et j’en ai deux autres dans la cuisine, juste au cas où- »

Elle s’interrompit, et le regarda sourcils froncés.

« Vous êtes trempé de sueur… et tout rouge. (Un silence.) Qu’avez-vous fait ? »

Et bien que cela réveillât la petite voix qui en lui mourait de peur, bien qu’elle se mît à gémir que ce coup-ci il était fichu et qu’il ferait mieux de laisser tomber, de tout avouer en espérant qu’elle lui pardonnerait, il réussit à croiser son regard soupçonneux en mettant une expression d’ironie fatiguée dans le sien.

« Je crois que vous savez ce que j’ai fait, répondit-il. J’ai souffert. »

De la poche de sa jupe elle tira un Kleenex dont elle lui épongea le front. Elle retira le mouchoir tout mouillé et lui sourit avec cette épouvantable manifestation de pseudo-sentiment maternel.

« Ç’a été si dur que cela ?

— Oui, oui. Maintenant est-ce que je peux-

— Je vous ai déjà répété qu’il ne fallait pas me mettre en colère. Vivre et apprendre, n’est-ce pas ce que l’on dit ? Eh bien, si vous vivez, je crois que vous apprendrez.

— Est-ce que je peux avoir mes gélules ?

— Dans une minute », dit-elle. Pas un instant ses yeux ne quittèrent son visage en sueur, où la pâleur de cire des joues contrastait avec les taches rouges comme un eczéma de ses pommettes. « Tout d’abord, je veux être sûre que vous ne voulez rien d’autre. Un truc que cette vieille folle stupide d’Annie Wilkes aurait oublié parce qu’elle ignore comment fait un Monsieur Je-Sais-Tout pour écrire un livre. Je veux être sûre de ne pas avoir à retourner en ville pour acheter un magnétophone ou un dictionnaire des synonymes ou je ne sais quoi encore. Vos désirs sont des ordres. Je ne prendrais même pas le temps de vous donner vos gélules. Je sauterais derrière le volant de la vieille Bessie, et hop ! Alors, qu’est-ce que vous en dites, Monsieur Je-Sais-Tout ?

— J’ai tout ce qu’il faut, dit-il. Annie, s’il vous plaît-

— Et vous ne me mettrez plus en colère ?

— Non, je ne vous mettrai plus en colère.

— Parce que lorsque je suis en colère, je ne suis pas réellement moi-même. »

Ses yeux s’abaissèrent. Elle regardait ses deux mains, qu’il tenait serrées au-dessus des boîtes d’échantillons de Novril. Elle les regarda longtemps.

« Paul ? demanda-t-elle d’une voix douce. Paul, pourquoi tenez-vous vos mains de cette façon ? »

Il se mit à pleurer. C’était de culpabilité qu’il pleurait et il avait cela plus que tout en horreur : non seulement cette femme monstrueuse l’avait réduit à l’état où il se trouvait, mais en plus elle le faisait se sentir coupable. Il pleura donc de culpabilité… mais aussi comme un enfant pleure de fatigue.

Il leva les yeux vers elle, les larmes lui inondant les joues, et joua la dernière carte qui lui restait.

« Je veux mes gélules, gémit-il, et aussi l’urinal. J’ai tenu pendant tout le temps que vous étiez partie, Annie, mais je n’en peux plus et je ne voudrais pas me mouiller une fois de plus… »

Elle eut un sourire doux, radieux, et repoussa la mèche de cheveux qui lui était tombée sur le front.

« Oh ! le pauvre chou. Annie vous en a fait voir de dures, hein ? Elle exagère ! Méchante vieille Annie ! Je vais les chercher tout de suite. »

 

Misery
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